L’HOMME

 

« MESSIEURS, NOUS MOURRONS TOUS » 

OU

LE TRIOMPHE DE LA VIE

 

 

 

L’homme est le roi de la Création. Il arrive tard dans l’univers, il se cantonne longtemps sur une planète minuscule où il est apparu il y a trois ou quatre millions d’années, et son histoire semble encore loin – malgré prophètes et illuminés, malgré les périls qui le menacent et l’ont toujours menacé et les progrès redoutables et récents d’une science qui est sortie de lui et se retourne contre lui – de toucher à son terme. Il est si imprévisible, si génial et si fou que personne ne peut savoir ce qu’il adviendra de lui. Il est pourtant permis d’affirmer d’ores et déjà, sans trop de risques de se tromper, qu’il joue un rôle plus important dans le tout qu’Arcturus ou Aldébaran, que les quarks ou les quasars, ou même que les trous noirs si pleins d’invention et de drôlerie tragique, que les abricots si délicieux, que les odieux moustiques, que les abeilles ou les fourmis, dont l’organisation et la discipline font l’admiration de tous ceux qui les fréquentent, que le lion lui-même, qui passe pour le roi des animaux, et qu’il a, sinon de beaux jours – qui oserait en jurer ? –, du moins de grandes choses devant lui. Et, à la réflexion, si, si, de beaux jours aussi. Pourquoi douter que demain donnera aux hommes d’aussi beaux jours qu’hier ? De grands malheurs comme toujours, de grands bonheurs évidemment, des crises, des exaltations, des triomphes et des gouffres. Un peu de tout, mais immense. Si un Dieu l’a créé, l’homme est son seul rival.

Comme le Soleil ou la Terre, comme la nécessité, comme le temps, l’homme n’est pas tombé du ciel – même s’il en est tombé. Je veux dire que le tout, selon sa vieille habitude, a pris pour l’engendrer des chemins détournés et une route assez longue. L’homme est là parce que le tout a sécrété quelque chose dont il est presque aussi difficile de parler que de l’être ou du temps et que nous appelons la vie. Il est si difficile de parler de la vie qu’une célèbre formule, qui n’est pas d’un humoriste, la définit comme l’ensemble des forces qui résistent à la mort. Et la mort et la vie ne sont en effet que les deux faces d’une même réalité. Il n’est pas question de mourir si on n’a pas vécu et il est inutile d’essayer de vivre sans accepter de mourir. Tout ce qui meurt a vécu. Tout ce qui vit mourra. « Messieurs, disait en une formule d’une originalité bouleversante un maître illustre à ses élèves pétrifiés par la stupeur, messieurs, nous mourrons tous. » La vie, autant que nous sachions – et je cours le risque d’être démenti par les lecteurs qui, toujours évidemment avec le plus vif plaisir mais peut-être avec étonnement, parcourront cet ouvrage dans deux cents, dans trois cents, ou peut-être, pourquoi pas, et cessez de ricaner, dans trois ou quatre mille ans –, est, à l’origine au moins, une exclusivité de la Terre. À la mort d’Einstein, un journal américain présenta en pleine page une immense carte du ciel. Dans un coin reculé, sur un point minuscule et brillant qui figurait la Terre, était plantée une pancarte Nous pourrions tous, nous aussi, quelque part dans l’immensité qui sépare les unes des autres les galaxies en train de fuir on ne sait où, planter une pancarte sur la Terre.

Presque rien sur presque tout
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